17 janvier, 2012

Pourquoi 2°C ?

Quand on s'intéresse aux questions de climat, et aux négociations censées permettre de le préserver, on est frappé par l'omniprésence d'un chiffre : 2°C. Plus que d'un chiffre, il s'agit là en fait de la colonne vertébrale sur laquelle repose l'ensemble de la balbutiante architecture politique internationale visant  lutter contre le changement climatique.

Que signifie donc ce chiffre ? Il s'agit en réalité d'un objectif. La communauté internationale, lors des conférences de Copenhague (2009), Cancun (2010) et Durban (2011) a adopté l'objectif de contenir l'élévation des températures moyennes à la surface du globe en dessous de 2°C par rapport à l'époque pré-industrielle. Certains pays, en particulier ceux membres du groupe AOSIS (Association of Small Island States - Association des Petits Etats Insulaires) réclament que l'objectif soit abaissé à 1,5°C du fait de leur extrême vulnérabilité à la montée du niveau des mers.

Cet objectif est devenu une sorte de mantra dans les milieux climatiques. Il sert en tout cas de base commune de discussion pour toutes les négociations internationales sur le climat. D'où l'importance de se poser la question suivante : pourquoi 2°C ? D'où ce chiffre vient-il ? Comment a-t-il pris une telle importance dans les politiques publiques internationales ? Les textes internationaux parlent d'un objectif de 2°C recommandé par "la science". Mais j'ai toujours trouvé cela un peu vague.

Jusqu'à très récemment, je n'avais aucune idée de l'origine de cet objectif. Et je suis persuadé qu'au sein de la communauté d'individus qui travaillent sur ou s'intéressent de près à la question du climat, j'étais très loin d'être le seul. Il eut été intéressant de faire un sondage à Durban… Mais, fort heureusement, l'IDDRI a en partie élucidé le mystère dans une étude récente et passionnante. Et il se trouve que la réponse n'est pas si simple.

Pour résumer, l'objectif de 2°C faisait partie initialement d'une série d'objectifs testés comme hypothèses de travail par une multitude de travaux prospectifs. Du coup, il est très difficile de dire quel chercheur ou quelle institution a formulé l'objectif en premier.

De plus, la cause de la prévalence de cet objectif reste également assez obscure. D'après l'IDDRI, il s'agit en réalité de la conséquence d'une série d'échanges entre les sphères politique et scientifique dont le but fut de structurer le débat sur les solutions à apporter à la menace climatique. L'étude montre également que l'adoption de l'objectif de 2°C a également constitué un plus petit dénominateur commun entre les Parties aux négociations internationales. En effet, d'autres objectifs chiffrés étaient tout aussi envisageables, en particulier un objectif de concentration atmosphérique de CO2. Or, cette cible aurait le désavantage d'être aisément mesurable. Inversement, l'objectif de deux degrés reste suffisamment vague pour satisfaire tout le monde. Plusieurs questions restent en effet en suspens concernant les 2°C : 2°C de plus par rapport à quand  (l'époque pré-industrielle a été plutôt longue) ? Comment le mesure-t-on ? Étant donné qu'il s'agit d'une moyenne mondiale, quand et comment saura-t-on que l'on a ou non atteint ce point ? etc

L'étude montre surtout comment science et politique deviennent difficiles à distinguer l'une de l'autre lorsqu'on parle de climat. Le débat éternel au sein de la communauté scientifique consiste à savoir déterminer jusqu'à quel point un scientifique doit formuler des prescriptions socio-économiques. Cette interrogation est particulièrement pertinente dans le cadre de la science du climat, dans le cadre de laquelle les scientifiques se retrouvent au coeur de controverses publiques d'une extrême violence (EXEMPLES). Personnellement, je pense que le désir qu'expriment certains scientifiques de se cantonner à formuler un avis purement scientifique sur le changement climatique est illusoire et potentiellement contre-productif et ceci pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, avoir raison ne suffit pas. Face à des organisations financées par de puissants intérêts privés qui cherchent par tout moyen à polluer le débat public sur le climat en créant un doute sur la qualité de la science (voir sur ce thème le livre "Les Marchands de Doute" de Naomi Oreskes), les scientifiques doivent monter au créneau pour que la vérité scientifique puise être communiquée au public. Dans l'ère du blog, du micro-blog et  de l'information à outrance, la vérité scientifique ne se suffit plus à elle-même et les scientifiques doivent devenir des communicants.

Ensuite, si les scientifiques ne proposent par leur vision de l'action à mener pour lutter contre le changement climatique, les décideurs publiques pourront se réfugier derrière une interprétation qui les arrange de la science du climat. Ou bien derrière la fausse (et archi fausse) idée selon laquelle il n'existe pas de consensus au sein de la communauté scientifique sur ce phénomène.

Ainsi, je suis convaincu que les scientifiques du climat doivent jouer un rôle plus important dans la sphère publique. J'ai été particulièrement impressionné par des scientifiques comme Valérie Masson-Delmotte en France qui ont décidé d'aller combattre un Claude Allègre sur son terrain de prédilection, à savoir la télévision. Et j'ai une admiration sans borne pour un James Hansen qui, en plus d'être peut-être la plus grande sommité mondiale sur le changement climatique, fait preuve d'un activisme qui pourrait faire rougir les militants les plus chevronnés de Greenpeace.

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