11 septembre, 2011

Pétrole en Guyane

La nouvelle a bien évidemment occupé une place majeure dans la presse françaises ces derniers jours, mais je me permets un résumé pour ceux qui n'auraient pas suivi. Total et Shell ont annoncé la découverte d'un gisement pétrolier au large de la Guyane française, à une profondeur de 2000m. Pour plus d'informations sur les détails, voir les articles du Monde.fr et de Libération. La quantité de pétrole que ce réservoir peut contenir n'est pas connue avec précision pour le moment. D'après l'excellent Matthieu Ozanneau, si les compagnies ont annoncé 700 000 barils, il s'agit probablement d'une estimation basse et le volume total devrait se compter en milliards de barils.

Quelques réflexions personnelles sur cette nouvelle. Tout d'abord, l'aspect économique. Le Gouvernement français s'est empressé d'affirmer que les revenus tirés de l'exploitation de ce champ pétrolier bénéficieraient aux habitants de la Guyane, département le plus pauvre de France. Même si il y aura indéniablement un impact en termes d'emplois dans la région (le chômage en Guyane s'élève à 20%), le reste des retombées reste très hypothétiques. Tout d'abord, l'Etat a un besoin substantiel de nouveaux revenus du fait d'une conjoncture économique pour le moins dégradée et d'une situation financière exécrable. Je ne pense pas prendre trop de risque en affirmant que les possibles revenus pétroliers de ce champ serviront en priorité à tenter de combler le trou noir budgétaire français, et pas à servir au développement de la Guyane. Après tout, on pourrait se dire : pourquoi pas, il s'agirait là d'une utilisation responsable de cette manne. A mon sens, il n'en est rien. Tout d'abord, la France a besoin d'investir dans son futur pour espérer retrouver un dynamisme économique qu'elle n'a plus connu depuis plus de dix ans. Une utilisation responsable de cet apport budgétaire serait de les réinvestir dans des secteurs à fort potentiel de croissance, à savoir, paradoxalement, les énergies renouvelables, les technologies vertes etc. Bref, une utilisation responsable de ces fonds serait de préparer une sortie progressive du pétrole et la réinvention d'un modèle économique, et pas de servir de rustine à un budget structurellement déficitaire (et qui le restera tant que la croissance restera à des niveaux aussi faibles). Bref, la manne pétrolière devrait venir abonder le budget d'acteurs qui investissent dans l'innovation et les nouvelles technologies comme la Caisse des Dépôts. Pourquoi ne pas s'inspirer du modèle norvégien ?

Au niveau macro, cette découverte a lieu dans un contexte d'inquiétudes croissantes concernant la production de pétrole mondiale. L'Arabie Soaudite a déjà prévenu qu'elle ne pourrait pas augmenter sa production à court terme, et l'AIE utilise toutes les figures rhétoriques qu'elle connaît pour ne pas laisser penser que nous sommes en plein peak oil. De fait, le prix du pétrole ne peut structurellement pas baisser, et les forages ultra-profonds comme celui de Guyane, plus chers à exploiter que des gisements plus superficiels, deviennent encore plus rentables (la situation est la même avec les sables bitumineux canadiens). Par conséquent, le moyen le plus efficace d'arrêter cette folle course aux gisements pétroliers (dont la manifestation la plus inquiétante reste l'ironique course à l'Arctique) est de faire drastiquement diminuer la demande en pétrole en engageant dès maintenant une révolution technologique et énergétique. Vaste, mais essentiel, programme.

La découverte de ce gisement est clairement une mauvaise nouvelle pour l'environnement et pour le climat. Il est situé à proximité d'une des plus importantes mangroves du monde, et à une profondeur supérieure à celle du puits Deepwater Horizon au large de la Louisiane, ce qui ne le rend que plus risqué. Malgré les assurances du Gouvernement français que toutes les normes de sécurité et de protection de l'environnement seront appliquées (déclaration particulièrement cocasse, comme quoi quand il s'agit de l'industrie pétrolière ce n'est pas forcément évident), on ne peut s'empêcher de frémir face aux impacts potentiels d'une marée noire dans cette région. Il y a d'ailleurs fort à parier que lorsque les forages débuteront, on verra débarquer (au moins) un bateau de Greenpeace.

Il sera intéressant de voir quels arguments seront avancés par le Gouvernement du Grenelle de l'Environnement pour justifier l'extraction de pétrole ultra-profond (et risqué) en territoire français. Affaire à suivre.

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